Trimestres non validés, fonds difficiles à vendre, réforme... Les coiffeurs se font des cheveux pour leur retraite, et ils n'ont pas tort !
Parmi les sujets de mécontentement évoqués par nos lecteurs, on trouve fréquemment... le montant de leur retraite. Réalité ? Ou simple ressenti après une vie consacrée à faire vivre et prospérer un petit commerce ? Jacques Guinefoleau, retraité installé près d'Angers, a fait ses comptes : "J'ai travaillé environ 23 ans comme salarié, et 21 ans en tant qu'employeur. Au terme de cette vie professionnelle bien remplie, j'arrive à peine à 1 000 euros par mois de retraite... Mon épouse, qui travaillait avec moi en tant que conjointe salariée, est donc devenue assistante maternelle, ce qui nous permet d'arrondir nos fins de mois." "J'ai 40 ans, la retraite est donc encore un peu éloignée de mes préoccupations. Mais mon mari a 53 ans, il a calculé ce à quoi il aurait droit : apparemment ce sera de l'ordre de 800 à 900 euros par mois", confirme Brigitte Sicard, à la tête avec son mari Joël des 2 salons "Les Inédits" à Tours.
COMMENT ÇA MARCHE ?
En fait, la retraite des artisans a un fonctionnement assez proche de celle des salariés. Les artisans cotisent durant leur vie professionnelle au RSI (Régime Social des Indépendants), issu de la fusion entre l'ex-Cancava et 2 autres caisses de travailleurs indépendants. Une fois à la retraite, ils perçoivent une pension dont le montant dépend de ce qu'ils gagnaient en activité (donc de leur bénéfice déclaré).
Globalement, la retraite de base à taux plein équivaut à 50 % du "revenu annuel moyen de base", à quoi s'ajoute la retraite complémentaire obligatoire (environ 19 % de ce revenu moyen). Quant à ceux, nombreux, qui ont été dans leur vie salariés puis chefs d'entreprise, l'ensemble de leur vie professionnelle est pris en considération, et la retraite est calculée au prorata du temps passé dans le salariat et en tant que travailleur indépendant.
Comme les salariés, les artisans subissent les effets de la réforme des retraites. Traditionnellement, le "revenu annuel moyen de base" pris en compte pour calculer le montant des pensions est celui des "meilleures années" d'une carrière. Sauf que peu à peu le nombre de ces "meilleure années" passe de 10 (jusqu'en 1994) à 25 (en 2013). Ce qui n'est pas franchement la même chose... D'autre part, et cela c'est connu, artisans comme salariés doivent peu à peu justifier de 40 ans d'activité pour prétendre à une pension à taux plein (soit 160 trimestres), durée qui passera progressivement à 41 ans entre 2009 et 2012.
MAIS ENCORE...
Fort bien. Mais cela suffit-il à expliquer la faiblesse des retraites des coiffeurs, maintes fois pointée ? D'abord, cela montre que les bénéfices réalisés dans une grande partie des salons, grevés par diverses charges, n'ont rien de mirobolant. D'autant qu'à l'heure du chèque et de la carte bleue, les coiffeurs haussent les épaules face aux accusations voilées de "black".
Il faut savoir aussi que, contrairement aux salariés, un chef d'entreprise individuelle ne "valide" pas forcément 4 trimestres par an. Une année de travail compte forcément pour 4 trimestres pour tout salarié qui travaille à temps plein, même s'il est smicard. En revanche, un artisan dont les revenus sont faibles peut ne valider que 3, voire 2 trimestres alors qu'il aura tout de même travaillé une année pleine... Plus précisément, "pour qu'un trimestre soit pris en compte", explique-t-on du côté du RSI, "il faut que la personne ait déclaré un revenu minimum de 200 Smic horaires bruts (soit 800 Smic horaires sur l'année pour avoir ses 4 trimestres)."
Ce qui, avec 1 654 euros trimestriels à déclarer au minimum pour valider le trimestre, placerait le coiffeur bien en-dessous du Smic s'il n'atteint pas cette somme ; mais cette situation peut tout à fait se produire lors du démarrage d'une affaire ou en cas de difficultés... Bref, les périodes de vaches maigres pèsent sur le montant de la retraite à un double niveau : non seulement parce que ça fait baisser le revenu de référence (ça on s'en serait douté), mais aussi parce que ça diminue le nombre de trimestres validés.
Autre paramètre, pointé par la Mutuelle Nationale de Retraite des Artisans (MNRA), qui commercialise des produits d'épargne retraite destinés aux artisans. Sur son site, la MNRA explique que la retraite complémentaire obligatoire des artisans se rapproche nettement plus de celle d'un non-cadre que d'un cadre, pour des questions de cotisations. Ainsi, au-dessus du fameux plafond de la Sécurité sociale, le taux de cotisation du RSI (ex-Ava) n'est que de 7 %, au lieu de 16 % pour les caisses complémentaires de cadres. D'où une retraite complémentaire de non-cadre, même pour les artisans dégageant de bons revenus... et malgré un passé de chef d'entreprise !
VENTE DU FONDS : BIEN ALÉATOIRE...
La différence avec un salarié, c'est que devenu âgé, l'entrepreneur individuel ne compte théoriquement pas que sur sa retraite pour vivre. Il a aussi une autre carte à jouer : la vente de son fonds de commerce, qui doit normalement lui assurer un petit pécule à placer pour ses vieux jours.
Encore faut-il réussir à bien vendre son fonds de commerce. Et c'est là que le bât blesse aussi. "Je vois beaucoup de fonds se vendre à seulement 20 % ou 30 % du chiffre d'affaires annuel", estime Jean-Paul Golias (salon "Jean-Paul Golias-Lazartigue" à Brest). Car pour quelques affaires bien situées, sur des emplacements recherchés, combien de rues secondaires, qui se sont peu à peu endormies ? Il est bien difficile, quand on s'installe, de prévoir ce que deviendra la rue 20 ou 30 ans plus tard. Cela s'apparente parfois à une loterie. "Le souci, poursuit Brigitte Sicard, c'est aussi tous les coiffeurs qui, ne trouvant pas d'acquéreur dans le métier, sont obligés de vendre à des gens qui ouvriront un autre commerce. Ils vendent donc leur fonds pour une bouchée de pain, car l'acquéreur ne récupère aucune clientèle." Et la clientèle, on le sait, c'est ce qui fait la valeur d'un fonds... Brigitte Sicard cite même le cas d'une coiffeuse qui, n'ayant pas trouvé de commerçant intéressé par son emplacement, a finalement cédé les murs à un particulier qui en a fait... une maison ! "Heureusement pour elle, elle était propriétaire des murs." De plus, avec les nombreux départs à la retraite prévus dans les années qui viennent, beaucoup de fonds de commerce vont se retrouver sur le marché, ce qui ne va pas dans le sens d'une hausse de leur prix de vente... au contraire !
QUE FAIRE ?
Il existe des produits d'épargne complémentaire, optionnels. "En activité, je n'épargnais pas en vue de ma retraite, se souvient Jacques Guinefoleau. J'avais fait le choix d'assurer ma santé : en tant qu'indépendant, si on tombe malade et qu'on ne peut plus travailler, on n'a droit à rien. Et "mettre de côté" pour les deux, retraite et maladie, me serait revenu trop cher." Hélas, cet effort deviendra de plus en plus nécessaire...
Le coiffeur qui souhaite épargner en vue de la retraite peut certes s'adresser à sa banque ou à une compagnie d'assurances. Pour sa part, la MNRA s'est totalement spécialisée dans le domaine de la retraite complémentaire des artisans, l'idée qui a présidé à sa création étant "de permettre aux artisans de se constituer une retraite de cadre". "Nous sommes gérés uniquement par des artisans", explique-t-on du côté de la MNRA. Ainsi, la majorité des produits vendus prévoient une sortie exclusive en rente (pas de choix rente / versement d'un capital), afin que l'artisan bénéficie d'un revenu supplémentaire.
Un coiffeur qui s'installe devrait se préoccuper le plus tôt possible de sa retraite... "même si c'est paradoxal de penser "cessation d'activité", reconnaît-on à la MNRA, alors qu'on est centré sur le développement de son affaire ! Mais plus on s'y prend tôt, mieux c'est, d'autant qu'avec notre produit phare Aria, plus l'adhérent est jeune, moins le point de retraite à acquérir coûte cher."
Autre piste : tout faire pour maintenir l'attractivité de son fonds de commerce. Plus que jamais, l'approche de la retraite ne doit pas être synonyme de relâchement... si on veut conserver des chances de bien le vendre ! "C'est bien aussi d'investir dans la pierre, conseille Jean-Pierre Golias, d'acheter des studios, ou pour commencer les murs de son salon."
Jacques Guinefoleau a choisi de prendre les choses du bon côté : "Nous ne sommes pas malheureux, certains dorment dehors. Mais au vu de nos pensions, on peut se dire qu'après une vie passée à faire vivre un commerce, ce qui demande beaucoup d'investissement en temps, ce n'est pas cher payé." Pas vraiment, en effet...
LES CONTRATS MADELIN : DES PRODUITS SPÉCIFIQUES POUR LES INDÉPENDANTS
Les "contrats Madelin", du nom de l'homme politique, ont été conçus en 1994, spécifiquement à l'intention des travailleurs indépendants qui veulent se préparer une meilleure retraite. Avantage principal : fiscalement, les sommes épargnées sont entièrement déductibles du revenu professionnel, ce qui était très innovant à l'époque. On a ainsi pu parler de "fonds de pension à la française". Pour bénéficier de cet avantage fiscal, il faut épargner environ 1 000 euros par an au minimum.
Là encore, mieux vaut ne pas se réveiller à 50 ans. Même si c'est pour mettre les bouchées doubles en croyant rattraper le temps perdu... En effet, ce n'est pas du tout la même chose d'épargner, mettons, 180 euros par mois pendant 15 ans, que 90 euros par mois pendant 30 ans. Question de mode de calcul des intérêts. Mais inutile de se bercer d'illusions : l'effort financier personnel est bel et bien au rendez-vous....
L'Eclaireur