L’Éclaireur a toujours défendu le principe de diplômes définissant un socle de compétences minimum, à l’instar du Brevet professionnel (BP), forcément imparfait mais utile. Nous avons aussi plaidé pour une mise en place intelligente et raisonnée de la valorisation des acquis de l’expérience (VAE) en tant que porte d’entrée pour les coiffeurs ayant eu un parcours alternatif. Et finalement, après avoir rencontré maintes résistances, la VAE est devenue une réalité sur le terrain. Une question d’autant plus stratégique qu’aujourd’hui encore, elle fait s’opposer les tenants d’un BP obligatoire en salon à ceux qui considèrent que ce diplôme ne sert qu’à brider les ouvertures d’établissements. Alors, au-delà des débats purement idéologiques, nous nous sommes penchés sur certaines situations complètement absurdes où les commissions de VAE (ou celles qui les ont précédées, quand il « suffisait » d’avoir 10 ans d’expérience pour prétendre à une équivalence) ont refusé de valider le parcours de professionnels reconnus. Si ces cas exemplaires ont rencontré des difficultés, alors, combien d’inconnus ont été rejetés en raison de critères trop rigides ? Interrogés à maintes reprises dans notre journal, les responsables de jurys ne cessent de rappeler que beaucoup de dossiers qui leur sont présentés sont notoirement incomplets et que les compétences des coiffeurs sont lacunaires : ils se formeraient peu après leur CAP, voire arrêteraient le métier des années durant. L’argument est valable, mais il fait tout de même sursauter de nombreux patrons d’académies, en général d’inspiration anglo-saxonne. Elles se font souvent fort d’utiliser une méthode très courue au-delà du Channel : l’immersion et la formation sur le tas de coiffeurs dont le parcours importe moins que leur motivation à travailler et à se perfectionner.DES VOIES ALTERNATIVES INSUFFISAMMENT RECONNUESAutant d’arguments qui poussent les coiffeurs à militer pour un renforcement du CAP afin qu’il se transforme en véritable diplôme d’accès à la profession ; l’ouverture d’un salon serait, elle, simplement conditionnée à un nombre d’années de pratique, de 6 à 10 ans. Une expérience qui serait consolidée, côté gestion, par le traditionnel stage délivré par les Chambres de métiers et de l’artisanat auprès des jeunes chefs d’entreprise qui ouvrent leur première affaire. Enfin, il est utile de rappeler que pour exercer la coiffure à domicile, la détention d’un BP n’est pas exigée, ce qui constitue une réelle distorsion de concurrence. Autre limite du BP obligatoire en salon, à laquelle nombre d’établissements ont déjà été confrontés (paradoxalement, la plupart du temps parmi les plus petits) : dans le cas d’une unité disposant d’une équipe réduite, qui fait l’intérim lorsque le patron, en général seul titulaire de ce diplôme, est en vacances ou malade ? Souvent, personne ! Dès lors, le salon devient « hors la loi » pendant quelques jours : c’est ce qu’ont pu constater à leurs dépens quelques unités, contrôlées comme par hasard durant l’absence du dirigeant… Plus gênant : le cas de ces professionnels, accaparés par leur travail depuis des décennies, qui n’ont jamais eu le temps de passer leur BP et ne peuvent reprendre les modules obligatoires et trop scolaires qu’on leur demande de maîtriser. Mais, honnêtement, aujourd’hui, quelle est par exemple la proportion de coiffeurs détenteurs du BP qui savent réaliser une permanente correcte ou se souviennent de leurs cours de chimie ? Sans pratique, beaucoup ont perdu le savoir-faire ; et pourtant, ils dirigent des salons ou en sont le référent technique.« APPAREMMENT JE NE SUIS PAS UN VRAI COIFFEUR ! »Stéphane Amaru coiffeur, consultant, formateur et coach, notamment pour Schwarzkopf ProfessionalDe retour d’Angleterre, il a fait partie de ces pionniers qui ont monté Toni&Guy en France. Stéphane Amaru s’est appuyé sur les législations française et européenne pour tenter d’obtenir son équivalence, du haut de ses 10 années d’expérience, théoriquement suffisantes à l’époque. « Hélas ! J’étais déjà la brebis égarée de la famille, le seul à avoir raté mon BP (plusieurs fois : on ne se comprend décidément pas, les jurys et moi !), juste avant de partir à Londres. Et il faut croire que je ne l’aurai jamais, car à mon retour en France, je me suis vu refuser contre toute logique l’équivalence du BP. Mon expérience à l’étranger ne compte pas. Ah bon ? » Pour résumer de façon succincte les 10 dernières années de pratique de Stéphane Amaru, on rappellera sa contribution au lancement d’une enseigne dans un pays, la création d’une demi-douzaine de salons, la direction de plus de 100 coiffeurs et d’une académie, puis son travail de formation et de coaching auprès de centaines de coiffeurs. Rien à dire, ce cas est douteux… Recalé !« J’AI MONTÉ UN DOSSIER PARCE QU’IL LE FAUT… »Patrick Lagré coiffeur, formateur et co-dirigeant de Toni&Guy FranceL’un des patrons actuels de Toni&Guy n’a toujours pas son BP : « J’ai rempli un dossier détaillant toute mon expérience, mes formations ; j’y ai joint mes dossiers de presse et ai mentionné mes prix obtenus aux Hairdressing Awards (ndlr : dont ”Coiffeur de l’année” !) ; et je verrai bien. Quant aux salons de l’enseigne, ils tournent très bien, merci ! Si je suis recalé, je me poserai de sérieuses questions sur les critères qui déterminent qui est officiellement reconnu comme coiffeur en France ! » Il a le sentiment que certains jurys sont déconnectés de la réalité quotidienne du métier. « Le BP permet surtout d’embaucher des jeunes sous-payés, auxquels on prétend tout laisser faire. Nous, les jeunes, nous les formons ; et deux ans après, même sans BP, ils sont payés comme les autres, et même souvent plus ! Le diplôme, je ne l’ai pas, mais je connais tous les fondamentaux depuis le CAP, même les techniques les plus classiques, grâce à mon passage chez Michel Brosseau. » En clair, le BP, Patrick n’en voit pas l’intérêt, mais comme il travaille en France, il essaie tout de même de l’obtenir ! Alors ? Dossier en cours…« JE N’AI JAMAIS EU LE TEMPS »Patrick Ahmed coiffeur, formateur et créateur de l’enseigne MedleyCe chef d’entreprise et formateur est revenu en France après avoir fait étape à Londres. La réponse obtenue à sa demande a été : « Insuffisant ! » De quoi laisser perplexe ce coiffeur arrivé sur le tard (autour de 20 ans) dans le métier, alors qu’il était déjà soutien de famille, obligé de travailler sans délai. « Et désormais, on me dit que je dois repasser plusieurs modules ! Quand ? Je repars en formation tous les lundis ! J’ai d’autres occupations, je gère déjà des salons et je dirige… des formations ! En prime, je ne vois pas l’intérêt de reprendre des cours élémentaires alors que j’ai quitté l’enseignement général après le lycée. J’ai renoncé, cette situation est trop ridicule ! » Et notre coiffeur d’embaucher des BP pour faire tourner ses salons ! « Pour l’ouverture d’une unité, on devrait juste exiger 10 ans d’expérience ou de direction de salon, plaide-t-il. Que l’on ne me dise pas que, pour gérer une affaire, le BP suffit ! En plus, de jeunes coiffeurs préparant le Brevet, auxquels on n’a jamais appris à couper, j’en rencontre régulièrement dans mes stages… » En revanche, que l'on tire la coiffure vers le haut en ouvrant de vraies formations de type bac pro ou au-delà, voilà qui ne déplairait pas à Patrick. Alors, est-il un vrai coiffeur ? Recalé !« EN ITALIE J’AI TOUJOURS ÉTÉ COIFFEUR, EN FRANCE NON… »Sergio Chessari coiffeur/conseiller en image freelance à domicile, sur les défilés et les shootings photoIssu d’une famille de coiffeurs italiens, Sergio Chessari a travaillé en salon dès ses 15 ans, a ensuite œuvré à 19 ans au Club Med, en Italie, puis pendant 5 ans chez Toni&Guy, en France. « J’ai continué en free-lance : j’ai fait des photos, des défilés. Puis j’ai cherché à faire valider mon expérience, et là, c’est un peu compliqué ! Concernant le dossier et l’entretien, no problem ; puis on m’a demandé de poser des bigoudis et d’autres choses comme ça, il y avait en tout 8 à 9 modules. Pourquoi ? s’interroge-t-il, je n’ai jamais eu à le faire avec mes clientes. C’est bien que certains sachent réaliser ce genre de choses, mais en quoi est-ce obligatoire pour être un vrai coiffeur ? Le fait d’avoir investi du temps et de l’argent pour rien m’a démotivé, je réessaierai peut-être plus tard... » Son avis sur son jury ? « Très sympas, mais obsolètes dans leur pratique. Je suis tous les jours sur le terrain depuis 14 ans, et voilà que soudain, on nous balance devant des gens qui nous font une demande étonnante: ”montrez-nous que vous êtes un coiffeur.” Bizarre, non ? » Pas d’ouverture de salon pour Sergio, donc, un peu blessé aussi de n’être pas reconnu. Il n’est pas vraiment coiffeur en fin de compte, juste conseiller en image et relookeur. « En Italie, c’est plus simple : il suffit d’avoir 3 ans d’expérience et de réussir un examen de type CAP. » Alors, convaincant, Sergio ? Recalé !LE RAPPORT ATTALITempête sur la coiffure en 2007 lors de la parution du rapport Attali (resucée du rapport Cahuc/Kramarz de 2004) : les conditions d’exercice de l’activité coiffure sont accusées de brider la création d’entreprise. En cause, le BP obligatoire dans chaque salon, vu comme un frein à la croissance des affaires et à la concurrence ; un vrai serpent de mer depuis l’instauration de ce système en 1946. Mais ce rapport est en contradiction avec les chiffres de l’époque : en réalité, les créations d’entreprise et d’emplois sont alors constantes, et même trop importantes, comme en a par la suite témoigné la recrudescence de faillites dans notre secteur, auparavant relativement épargné. Point essentiel oublié dans le rapport : la mise en place de la VAE avait ouvert quelques portes. Depuis, le dispositif de validation fonctionne, même si quelques lourdeurs administratives en limitent parfois la portée. (Est-il vraiment utile de devoir valider autant de modules, lesquels « collent » trop à un référentiel par nature très scolaire ?)
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