La coiffure et son cortège de maladies professionnelles posent une vraie question : celle de la reconversion de l’artisan, qu’il soit employeur ou salarié. Un sérieux casse-tête ! Mais des pistes existent... On le sait, les maladies professionnelles touchent durement la coiffure. Ce qui saute aux yeux en discutant avec les intéressés, c’est la solitude du coiffeur confronté à une maladie invalidante. Dans les grandes entreprises, où les salariés se comptent par centaines, les possibilités d’évolution, de reclassement, sont tout de même plus nombreuses. Dans la coiffure... chacun se débrouille comme il le peut !
UN RECLASSEMENT PROBLÉMATIQUE
La situation est un peu différente selon que l’on est salarié ou employeur. Aux salariés, l’employeur a obligation de proposer un reclassement... dans la limite de ses possibilités. Or, dans le métier, les ouvertures sont plutôt restreintes. Hypothèse la plus simple : le salarié, technicien ou polyvalent, souffre «seulement» d’allergies cutanées. Dans ce cas, si la structure du salon le permet, il peut se consacrer exclusivement à la coupe, aux soins esthétiques, à la manucurie. Voire à la réception, mais seuls les salons avec un personnel nombreux et/ou à fiche moyenne élevée emploient une personne à l’accueil. Ainsi, Cyril Fourcade (salons «Jacques Fourcade», dans le Sud Ouest), a d’abord choisi la technique. Puis, à force de couleurs rincées et de produits manipulés... irritations, crevasses et gerçures ont fait leur apparition. D’abord sur les mains, pour s’étendre jusqu’en haut des bras. «C’était à la fin des années 80, on n’avait pas l’habitude d’utiliser les gants, ni les crèmes pour les mains.» Il se réoriente assez vite vers la coupe, qui reste sa spécialité aujourd’hui. «Si exceptionnellement je dois rincer une couleur, ça va. Aujourd’hui, estime-t-il, il y a eu une prise de conscience, aussi bien de la part des fournisseurs que de la profession. On met des gants, des crèmes, les produits aussi ont évolué.»
DE L’AIR !
Sauf que, prise de conscience ou pas, les cas d’allergies existent toujours. Et les choses se compliquent en cas de problèmes respiratoires, associés ou non aux allergies cutanées. Car là, c’est la présence même au sein du salon qui pose problème, du moins dans les zones où l’on inspire les produits. Dans ce cas, pour se limiter à la coupe ou aux soins, il faut vraiment que ces activités soient nettement séparées de l’espace technique, voire à un autre étage. Ce qui n’est possible, on s’en doute, que dans les salons les plus grands.
Delphine, 38 ans, coloriste, a commencé à souffrir de réactions cutanées sur le visage, de sensations de chaleur, avant de déclencher un asthme professionnel vraiment invalidant : «à certains moments, j’étais obligée de quitter la cliente car je ne pouvais plus respirer.» Delphine a bien tenté de se reclasser à l’intérieur du salon : «je suis passée à la réception, aux shampooings... Mais il n’y a rien à faire : le salon était de taille moyenne, et à partir du moment où les produits sont dans l’air, je ne peux pas respirer normalement.»
UN DÉBOUCHÉ, LE COMMERCE
Pour ceux-ci, une piste s’ouvre, c’est le basculement vers l’aspect commercial du métier. «J’ai connu des coiffeurs allergiques devenus représentants pour un fournisseur», indique Cyril Fourcade. Les grossistes accueillent également ces gens de métier. Ainsi, Delphine s’apprête à commencer une période d’essai chez l’un d’entre eux : «Le conseil, la vente, je les pratiquais déjà en salon.» Le groupe Pro Duo, qui vend des produits professionnels aux coiffeurs et esthéticiennes, compte actuellement 24 points de vente (dont 2 franchises) en Belgique et 10 en France, dans le Nord et l’Ouest, et souhaite ouvrir des magasins dans l’Est. Reponsable du développement de la franchise, Maxence Trentesaux souligne : «Dans nos boutiques, on trouve pas mal d’anciens coiffeurs allergiques... Pour eux, c’est une chance, ils ne quittent pas le secteur et utilisent leur bonne connaissance des produits dans le conseil. Le système de la franchise peut aussi donner l’occasion à un patron de salon qui dispose d’un petit capital de se reconvertir tout en restant chef d’entreprise.» Cependant, comme le reconnaît Maxence Trentesaux, «venir du métier ne suffit pas pour réussir. Il faut un certain sens du commerce et de la vente, des capacités relationnelles... même si bien sûr nous formons nos recrues.»
LE FACTEUR «ÂGE»
Reste une dernière solution : changer totalement de branche. «Dans cette optique, le CIF (Congé Individuel de Formation) peut s’avérer une solution pour un salarié», note Isabelle Arnoux, à la tête de la société de formation Dont Acte. Pour en bénéficier, il faut avoir travaillé 2 ans dont au moins 1 an dans l’entreprise actuelle. Pour les salariés en CDD, il faut avoir travaillé 24 mois pendant les 5 dernières années, dont 4 mois durant la dernière année. Le CIF permet de se former par exemple pour préparer une reconversion, en touchant jusqu’à 90 % de son salaire. Quant au congé de conversion, il s’adresse au salarié licencié après au minimum 2 ans de présence dans l’entreprise. Les chefs d’entreprise peuvent bénéficier des dispositifs de formation des adultes (Afpa). Reste que plus on est jeune, plus la réorientation est facile. La «chance» de certains, c’est d’avoir souffert d’allergies très vite après leur entrée dans la profession. Car, en France où les changements de parcours professionnels sont encore considérés avec suspicion, les jeunes ont plus de cartes en main. Mais l’allergie est un mal sournois : elle peut rester tapie de longues années avant de faire surface. Caroline Monnet, entrée dans la profession à l’âge de 17 ans, a travaillé une bonne dizaine d’années sans alerte, Delphine presque 20 ans... Et à l’approche de la quarantaine, la donne n’est plus la même. «En tant que responsable de salon, on a fait un peu de gestion, de comptabilité, un peu d’informatique... mais pas assez pour qu’on puisse vendre ces compétences à l’extérieur !» observe à juste titre Caroline Monnet. Quant à Delphine, elle s’insurge contre l’absence d’aménagements de type dispositif d’extraction dans la plupart des salons. «Pourquoi ne porte-t-on pas de masques pour préparer et appliquer les couleurs, comme le font les Asiatiques spécialisées dans la pose de faux ongles ?» Et pourquoi la reconversion professionnelle est-elle si compliquée en France, pourrait-on ajouter...
MAUREEN WAWRZYNIAK, 21 ANS
«Ma «chance» ? Avoir pu me reconvertir jeune»
«Après 2 ans et demi d’apprentissage, j’ai commencé à avoir de gros problèmes d’allergies aux mains. Les journées d’école coupaient la semaine, donc ça allait à peu près, mais étant aussi allergique au latex je ne pouvais pas porter de gants. Puis ça s’est aggravé 6 mois avant le CAP : j’ai eu des problèmes respiratoires. J’ai dû tout arrêter, je n’ai même pas pu passer mon CAP.» Maureen est effondrée : «la coiffure, c’était ma passion.» Saisissant une occasion, elle donne un coup de main à la boutique Pro Duo de Dunkerque pour une grosse opération commerciale. «Je suis retournée les voir en leur proposant de passer un BEP «Vente et action commerciale» en apprentissage chez eux. Ils ont accepté.» Maureen enchaîne alors sur un bac pro «Vente», dans la même boutique, et espère ensuite faire un BTS «Management des unités commerciales», toujours en alternance. «Ce qui me plaît, c’est que je reste dans le milieu de la coiffure, en bossant avec des pros ; j’applique toutes les connaissances acquises avec mon maître d’apprentissage. Là où j’ai eu de la chance, si on peut dire, c’est que mes allergies se sont déclarées quand j’étais encore jeune. C’est plus facile pour se reconvertir. »