Question beauté, le développement du marché masculin, pronostiqué depuis plusieurs années, a parfois tardé à se faire sentir… Selon Marc Gignoux, créateur de la marque New Barbers, le marché « hommes » de la beauté et des soins représenterait un dixième de celui des femmes… Cependant, l’évolution est bien orientée (voir encadré « L’homme en chiffres »), soutenue par un marché qui, il faut le reconnaître, sait créer l’offre. Après les marques historiques dédiées à l’homme, type Nickel, les maisons de luxe investissent désormais ce créneau : Lancôme, Dior entre autres ont lancé des gammes spécifiques pour hommes, ainsi que Jean-Paul Gaultier, tout récemment. La presse s’y met : GQ, un mensuel masculin dédié à la mode, au style de vie et à la culture, vient d’arriver en France. Et les grands titres de la presse nationale consacrent des suppléments « mode-beauté » à la gent masculine.
QUESTION D’IMAGE
La question se pose différemment en coiffure, où existait une tradition de salons et de services masculins qui, certes, s’était un peu diluée dans la grande vogue de mixité des années 70. Aujourd’hui, doucement, on note un retour à des prestations et à un dialogue plus spécifiquement orientés « hommes ». Jacky Carpy porte un intérêt réel à ce marché. Voici un peu moins d’un an, il a lancé des stages « hommes ». Dans les salons de son groupe, 30 % de la clientèle est masculine et celle-ci représente 15 % du chiffre d’affaires. « J’espère parvenir à respectivement 40 % de la clientèle et 25 % du chiffre d’affaires. » Si cela passe forcément par une certaine augmentation des tarifs, l’image a aussi, pour lui, un rôle à jouer : « Nous aurons des cartes de visite, des fiches diagnostic différentes pour les hommes… Et dans les salons, il est intéressant d’avoir des images au masculin, par exemple un mur de visuels.» Alain Zinzius a, à Paris, et dans la région, un salon exclusivement masculin qui propose une large palette de services coiffure et esthétique, et deux affaires mixtes. « Pour moi, un salon doit être ou bien 100 % hommes, ou bien, s’il est mixte, garder tout de même une majorité de femmes. Car trop d’hommes dans un salon mixte, cela fait fuir les femmes. » Et d’ajouter aussitôt : « Si on veut réaliser des services de type esthétique, soins, mieux vaut qu’il n’y ait pas de femmes. Je le vois bien, dans mon salon masculin, qui fait un peu « club » : on y pratique des soins du visage, des massages, des épilations… bien plus que dans les deux autres. » Question coupe, une grande liberté de choix est possible. Le « très court » n’a plus vraiment la cote. Mais, tout dépend du style de l’homme, de sa personnalité, de sa profession… « Un impératif : le naturel, souligne Alain Zinzius. On fait aussi pas mal de piquetage aux ciseaux ». Pour Jacky Carpy, « les pattes se font plus longues, les coupes plus pleines, on a tendance à dégager le front et à placer les cheveux en arrière. » Et les hommes plébiscitent les coupes qui autorisent plusieurs coiffages.
PRESTATIONS CIBLÉES
Si la coupe reste le principal service en clientèle « hommes », d’autres prestations sont possibles, et même intéressantes ; il s’agit toutefois là plus de « niches ». Ainsi, le rasage « barbier » garde ses afficionados. Tout dépend de la clientèle. Alain Zinzius : « Mon salon hommes est situé près des Champs-Elysées, il draine donc une clientèle d’hommes d’affaires qui apprécie ce service. » L’organisme de formation Educatel lance d’ailleurs un stage de 3 jours : « Stage Barbier ». « Il est dédié au rasage à l’ancienne, à la taille de barbe et au rasage de crâne », précise Claude Marcon, responsable du centre de stages pratiques, basé à Paris 19ème. Première session : fin avril. Max Néant (salon « Max pour l’homme » à Toulouse) : « Je fais pas mal de taille de barbe à l’italienne, très courte. Ce service génère aussi des ventes de beaux blaireaux ou de crèmes de rasage. Il faut savoir le proposer : parfois, j’offre une taille de barbe de 3-4 jours, pour le faire connaître. » Autre service qui marche chez « Max pour l’homme » : le lissage, pour des hommes de type européen mais pourvus d’une chevelure épaisse, un peu ondulée, difficile à coiffer par temps humide. Citons aussi, surtout dans des salons à clientèle relativement jeune, la coupe « tribale ». Quant à la couleur… « Seulement 2,3 % des hommes français se sont colorés au moins une fois les cheveux», souligne Valérie Philbert, directrice marketing de Redken France. « Mais la proportion est plus élevée chez les hommes fréquentant les salons », ajoute-t-elle aussitôt. Quoi qu’il en soit, la couleur-plaisir reste -définitivement ?- un créneau très étroit. Ce qui fonctionne mieux : la couverture des cheveux blancs. Encore faut-il que ce soit fait en toute transparence, relativement rapidement, et avec un résultat très naturel. Dans cet esprit, la gamme SP Just Men (Wella Professionals) propose « Pigment Mousse », une mousse repigmentante disponible en deux tons ; citons aussi Cover 5’, la coloration pour hommes lancée tout dernièrement par L’Oréal Professionnel, pour un service rapide couvrant jusqu’à 50 % de cheveux blancs.
UNE OFFRE DÉDIÉE
En termes de revente, les coiffants demeurent sans conteste les stars. La demande masculine a tout de même une dimension spécifique, bien sûr en termes de packagings (c’est le triomphe des bruns chocolat, des gris, des tons métallisés), de fragrance, mais aussi de commodité et de rapidité d’utilisation. « Les hommes évitent en général les produits à mode d’application élaboré, comme les ampoules, ou gourmands en temps (temps de pose à respecter) », souligne Magali Ponte, responsable de la gamme System Professional chez Wella.
Certains problèmes se rencontrent plus souvent chez l’homme que chez la femme. « 51 % des hommes déclarent avoir parfois ou souvent des pellicules », note Valérie Philbert. C’est pourquoi « Invigorating System », la nouvelle gamme de Redken for men, une gamme pourtant courte (3 produits), contient une lotion tonique antipelliculaire. Autre souci majeur, la chute de cheveux. « En septembre, l’antichute Maximum Tonic de la gamme SP Just Men sera relancé, avec une formule repensée et plus performante », confie Magali Ponte.
De plus en plus, l’homme devient un consommateur à part, à qui l’on propose une offre spécifique. L’Oréal Professionnel vient de lancer une offre dédiée comprenant 4 shampooings soin et 4 coiffants. Tigi aborde également ce marché, avec le lancement de la gamme Bed Head for Men. «Dans un premier temps, la gamme, resserrée, se concentre autour de 3 produits de base : un shampooing, un conditionneur et un coiffant », précise Alexandra Quinn, responsable de Tigi pour la France. « Très vite, elle est amenée à s’étoffer, pour comprendre 9 produits d’ici à la fin de l’année. » Quant à la marque American Crew, dédiée depuis toujours à l’homme, elle entame son relooking. Première étape : de nouveaux produits de rasage arrivent à partir du mois de septembre. Et chez New Barbers, on prévoit 2 lancements en 2009, un soin et un parfum.
L’ENVIE AVANT TOUT
« Pour développer de nouveaux services et la revente chez l’homme, juge Françoise Keller, directrice marketing des marques Revlon Professional et American Crew, il faut impérativement que le coiffeur ait envie de réussir sur ce marché. Pour une marque comme American Crew, avant tout ligne de revente, le conseil, l’accompagnement, le professionnalisme du coiffeur, sont fondamentaux. Dans les salons mixtes, je crois à la nécessité des espaces spécifiques pour les hommes, pour qui veut développer ce segment, et pourquoi pas à des collaborateurs dédiés. » « La motivation du chef d’entreprise est fondamentale, approuve Marc Gignoux. Pour l’instant la marque New Barbers est présente dans une cinquantaine de salons, essentiellement dans les régions parisienne et lyonnaise, dans des salons branchés ou traditionnels, des coins riches ou plus « classe moyenne ». Or il n’y a pas un type précis de salon où cela fonctionne mieux ! C’est, je pense, surtout lié au chef d’entreprise. » Sur le marché hommes, non motivés, s’abstenir
L’HOMME EN CHIFFRES
Avertissement : les chiffres concernant le marché masculin sont à prendre avec du recul… En effet, entre les différents circuits (grande distribution, parfumeries sélectives, pharmacies, et bien sûr salons de coiffure), compiler des données ne recouvrant pas toujours des périmètres identiques relève parfois de la haute voltige. Il n’empêche : la tendance est là. On évoque un marché global de soins pour hommes (peau, anti-âge, capillaire, après-rasage, mais hors rasage) atteignant les 40 millions d’euros. 25 % des 35-44 ans possèdent autant de produits de beauté que leur compagne. Les hommes se lavent les cheveux aussi, voire plus souvent que les femmes (4 fois par semaine et plus). Et 35 % d’entre eux utilisent des coiffants. Enfin, l’homme pousse 7,2 fois par an la porte d’un salon de coiffure, contre 5,5 fois pour la femme. Intéressant : 70 % des hommes utilisateurs de produits de soin emploient des produits… qui ne leur sont pas spécifiquement destinés.
LE JUSTE PRIX
La question du prix est épineuse... Une chose est bien ancrée dans les mentalités : une coupe hommes doit être moins chère qu’une coupe dames. Or, une coupe stylée réalisée sur l’homme exige pratiquement autant de temps que pour ces dames. Pour obtenir une prestation personnalisée et qualitative, ces messieurs doivent donc accepter de payer -un peu- plus. Dans cet esprit, le groupe Carpy s’apprête à lancer une prestation « Coupe tendance », qui se situera en termes de prix à mi-chemin entre la coupe hommes classique et la coupe femmes. Jacky Carpy est confiant : « Le marché est prêt. Regardez le prix de certaines marques de vêtements… » Max Néant tient seul un salon hommes à Toulouse, « Max pour l’homme ». « J’ai banni la tondeuse, je travaille beaucoup au rasoir, aux ciseaux, pour un rendu très doux, aux antipodes du style « le tour des oreilles bien dégagé » ! Je passe une demi-heure par coupe, mais elle est facturée à son juste prix. »
CHERCHEZ LA FEMME !
Pour Marc Gignoux, créateur de la marque New Barbers, c’est avant tout la femme la prescriptrice. D’où le mode de distribution original de ses produits (3 soins, 3 parfums), essentiellement en salon mixte. « Nous sommes bien sûr présents dans quelques salons hommes, mais nous visons avant tout les affaires mixtes, d’une part parce qu’elles sont bien plus nombreuses, et deuxio parce que les femmes continuent à acheter pour leur copain ou leur mari. » Pour d’autres observateurs, l’homme ose de plus en plus, voire aime effectuer ses achats lui-même. En fait, il semblerait qu’une moitié des représentants de la gent masculine achète ses produits seuls, l’autre laissant ce soin à la femme de leur vie. Question de personnalité, d’âge aussi, les plus jeunes étant souvent plus décomplexés en la matière.