Vous avez raison le probleme est de taille, et pas nouveau hélas..! Pourtant des coiffeurs prêts à s’investir dans la formation il en existe en fait beaucoup. Mais interrogés sur leurs jeunes recrues, ils ne sont pas toujours convaincus. Et mettent en cause la formation dispensée... la parole est aux deux parties, qui ne sont pas adverses, mais complémentaires !
«Franchement, je me demande si je vais continuer à prendre des apprentis», déplore un coiffeur, pourtant très impliqué. «Chaque année c’est plus difficile...» En vrac: la formation ne serait pas vraiment adaptée sur le plan pratique, et insuffisante question ouverture sur les arts et culture. Surtout, on n’y inculquerait pas aux jeunes le sens commercial... mais plutôt la «mentalité 35 heures» !
PRATIQUE : LES BASES AVANT TOUT
Côté pratique, les avis sont partagés. Globalement, les bases sont transmises. Certains se font sévères : «On leur apprend la même chose qu’il y a 30 ans...», déplore Yolande Urbano (salon «Yolande Urbano», Paris 15ème). «Le contenu s’est tout de même bien modernisé, d’ailleurs la profession s’est battue pour ça», rétorque Brigitte Sicard, à la tête avec son mari Joël du salon «Les inédits» à Tours, et par ailleurs membre du bureau de la Chambre des Métiers. «On y trouve des éléments de pratique quotidienne, défrisage, effets bicolores... On n’en est plus seulement à l’ondulation et à la mise en plis !»
Du côté des formateurs, on souligne le rôle du chef d’entreprise. «Normalement, la pratique au CFA ne devrait être qu’un complément, la responsabilité de la formation revenant au coiffeur», souligne Régis Letort, responsable de la vie scolaire au CFA coiffure-esthétique de Nantes. Brigitte Sicard suggère même de consacrer les horaires de CFA uniquement aux matières générales (maths, français...) et théoriques (technologie...), déléguant ainsi totalement la pratique au salon !
On pointe aussi les différences entre établissements. «Nous avons un vrai salon, les élèves sont donc en situation de façon permanente», soulignent Ivan Beauchemin (CPI Formation/Mixtiligne) et Nicole Montesantos (école Montesantos). «Pas facile pour les CFA, souvent éloignés des centres-villes», poursuit Ivan Beauchemin. «A Nantes, le CFA dispose aussi d’un salon qui accueille des clientes», répond Régis Letort. «Les élèves s’y entraînent, mais l’idée n’est pas de nous substituer à la formation reçue en salon.» En sens inverse, toutes les écoles privées ne disposent pas d’un salon. Et les stages en entreprise des élèves de lycées ou d’écoles sont souvent jugés trop courts.
LA COURSE AU TEMPS
Autre point soulevé : l’aspect culture, arts... Pour Yolande Urbano, «on ne leur apprend pas à s’ouvrir, à se cultiver...» Certes, un bon coiffeur doit être sensible au dessin, à la sculpture... Mais certains coiffeurs sont indulgents : «Mais comment étions-nous à leur âge ?» Sur ce plan, l’argument du manque de temps joue à plein : «Il faut caser la formation des BP en une journée et demie», souligne Ivan Beauchemin. «Mais pourquoi a-t-on abandonné le CAP en 3 ans ?» s’interroge Bruno d’Alberto (salon d’Alberto à Strasbourg).
Les conditions d’obtention des diplômes posent aussi problème. Il semblerait que la coiffure soit touchée par un mouvement général qui vise à ce que de plus en plus de gens soient diplômés (on se souvient du fameux «80 % d’une classe d’âge au bac !»). Une grande partie du CAP serait déjà acquise en cas de «sans-faute» au bac (vérification de la température de l’eau, etc.). Rumeur ou pas ? Quoi qu’il en soit, pour beaucoup de nos interlocuteurs, même un CAP réussi est «trop juste» pour être vraiment autonome en salon.
SENS DU SERVICE : PAS TOP !
Mais le sujet le plus sensible concerne le comportement. Langage non adapté, amabilité limite, peu de goût pour le travail, oeil rivé sur la montre... : les reproches pleuvent. Certains coiffeurs tentent d’y parer en privilégiant les enfants de commerçants ou d’artisans. «Mais même là, on peut avoir de mauvaises surprises !», s’exclame l’un d’entre eux. D’autant que, comme le remarque une coiffeuse, elle a eu aussi d’excellents juniors enfants de fonctionnaires.
Et les établissements ne feraient rien pour leur inculquer ce «sens du service». «Les jeunes sont élevés de façon bien moins autoritaire que nous ne l’avons été. Moi je trouve qu’ils ne sont pas si mal que ça. Mais «mets-toi dans un coin et tais-toi», c’est un langage qu’ils n’acceptent plus», rebondit Nicole Montesantos. «Véridique : l’autre jour, je rectifie la mauvaise position d’un jeune en BP, il me répond : «Je m’en fiche, moi après le BP je monte une chaîne de salons !» Est-ce à nous de refaire leur éducation ?» philosophe Ivan Beauchemin.
DROITS ET DEVOIRS : BEURRE ET ARGENT DU BEURRE
Plus grave : les juniors ne penseraient qu’à leurs droits, jamais à leurs devoirs, et seraient atteints de la «mentalité 35 heures». «Autrefois, on les formait en-dehors des heures d’ouverture, remarque Jean-Paul Golias (salon «Jean-Paul Golias/Lazartigue» à Brest), aujourd’hui c’est impensable.» Si certains coiffeurs ne veulent pas «aller jusqu’à mettre en cause écoles et centres de formation», d’autres glissent que les CFA, surtout, seraient bien à l’origine du phénomène, montant la tête des apprentis contre les «méchants» patrons qui ne pensent qu’à les exploiter. «C’est clair, souligne une coiffeuse. Après une semaine en cours, les filles reviennent... différentes !»
«C’est une obligation pour nous, au CFA, d’informer les apprentis sur leurs droits», tempère Jean-Paul Golias, qui est aussi responsable du CFA de Brest. «Et puis, nous, patrons, ne sommes pas blancs comme neige... Les choses s’améliorent dans le métier, mais le coiffeur qui fait faire ses courses à l’apprenti et lui dit : si tu n’es pas content, je te grille sur la ville, ça existe !»
«Ils ont maintenant une attitude de consommateurs, même vis-à-vis de l’emploi : on est là pour gagner notre vie, point», reconnaît Régis Letort (CFA Nantes). «Ici, on veille là-dessus car on est géré par le syndicat de Loire-Atlantique, mais il est vrai qu’ils ont tendance à ne retenir du cours de droit que ce qui les arrange...» Et de citer l’exemple des 5 jours de révision avant l’examen réclamés aux patrons par les apprentis... alors qu’ils ne sont dûs que dans un cas bien précis (si le CFA organise des révisions groupées)! «Mais souvent, ce sont les parents qui sont derrière tout ça!» conclut Régis Letort. «Le gros problème, c’est aussi la compression des grilles salariales», souligne Ivan Beauchemin. «Malgré les incitations (pourcentages...), il n’y a pas assez de différence dans la profession entre le salarié qui se démène et celui qui fait le minimum. ça ne pousse pas les jeunes au dynamisme...»
Alors, les lacunes des jeunes: la faute à leur génération ? Aux parents ? à la formation? Les juniors sont ce qu’ils sont, et c’est sans doute en multipliant les échanges patrons-établissements-parents que les choses progresseront !■
C.SAJNO
35 HEURES ET APPRENTISSAGE : UN VRAI PROBLÈME !
Les 35 heures des apprentis : vaste sujet ! Salarié, l’apprenti est passé aux 35 heures. Ce qui a été mal vécu dans les salons, c’est que la réduction du temps de travail a porté sur les heures passées en entreprise... et pas au CFA ! Selon les villes, l’alternance s’organise différemment, mais ce n’est jamais facile. «La semaine juste avant Noël, déplore une coiffeuse, mon apprentie BP était en cours tout le temps !» «Moi j’ai 2 apprenties, poursuit une autre, donc on arrive à jongler...»
Du côté des CFA, on admet le problème. Mais on affirme que les horaires de cours sont déjà resserrés au maximum. «A Nantes, les apprentis ont 3 jours de cours tous les 15 jours, soit 18 regroupements dans l’année», plaide Régis Lefort. «On est à 425 heures seulement pour 400 heures obligatoires, donc c’est limite. Mais c’est vrai, les employeurs ont eu le sentiment que c’était encore à eux de faire un effort...»
VANIA LAPORTE : «LE CÔTÉ MODE ET LUDIQUE MANQUE»
«La formation en alternance, c’est bien car ça permet une approche concrète du milieu de travail ; or les jeunes apprentis ont ce désir de confrontation. En écoles privées, on trouve des filles au niveau d’études plus haut, plus mûres... C’est différent. Quelle que soit la formation, pour les bases, ça va. Mais il manque le côté mode, ludique, caractéristique du travail en salon. Ici nous les formons beaucoup et c’est indispensable.
C’est une génération qui ne connaît pas le service, qui ne sait pas utiliser les bonnes expressions, remercier la cliente... Ils ont l’impression que s’ils sont trop sympas, ça les dévalorise. Sans être pro-américaine à 100 %, je reviens des Etats-Unis, ça n’a rien à voir...» Vania Laporte a 2 salons, à Bordeaux et à Talence.
JEAN-LOUIS LAZORTHES : «LEUR APPRENDRE LE MILIEU DU TRAVAIL»
«Dès les premiers temps au CFA on devrait leur apprendre les réflexes propres à notre milieu de travail, le goût de faire plaisir à la clientèle, l’accueil, le service... Là, c’est un travail de fond qui retombe sur le chef d’entreprise et est souvent mal compris par le jeune... Les problèmes de tenue, de sourire, de respect des autres collaborateurs sont fréquents. Ce n’est pas forcément la faute du CFA, mais il devrait y avoir un travail commun en ce sens, entre le chef d’entreprise, le CFA et les parents.» Jean-Louis Lazorthes est propriétaire d’un salon à Toulouse.
BRUNO D’ALBERTO : «TROP LÉGER EN PRATIQUE»
«Concernant la théorie (technologie, chimie), c’est pas mal fait à mon avis. Mais question pratique, je trouve que les techniques apprises restent trop basiques. En salon je suis vraiment obligé d’aller au-delà... et parfois de prendre le contrepied! Un exemple : lors d’un examen blanc, on demande à l’apprenti de contrôler sa permanente au bout de 10 minutes. Or si le diagnostic a été bien fait le temps de pose doit être respecté scrupuleusement. Je trouve que contrôler avant la fin, ça suggère qu’on manque d’assurance... Ce n’est pas comme ça que le service forme va remonter la pente! Le jeune est parfois un peu perdu, et je le comprends : pour l’examen il se demande s’il doit faire comme au CFA ou comme au salon...» Bruno D’Alberto dirige avec son frère Yvan un salon à Strasbourg.